dimanche premier septembre deux mille treize.
Je sens encore cette odeur de papier consumé. Je vois encore ces petites lettres disparaître dans la fumée. J'entends encore le craquement des feuilles qui brûlent à l'intérieur de cette enveloppe métallique. Je sens encore la chaleur tout près de mes doigts. J'avais actionné ce putain de briquet. J'avais pris une décision. Tout devait disparaître, comme si ça n'avait jamais existé. Mes faux passeport, mes fausses cartes d'identité, mes fausses cartes bancaires. Tout. Je ne pouvais plus être Bryan, Kevin, Johny, James ou encore Steven. Depuis six ans, j'avais oublié qu'il n'y avait qu'une seule personne que je pouvais être : Raphaël.

Je referme la porte de mon tout nouveau chez moi. Brooklyn, oui toujours Brooklyn. Mais cette fois, ce sera Williamsburg, ce sera Bedford avenue. Je souffle fort, mes membres tremblent encore. Mon nom, mon vrai nom est écrit sur la petite sonnette à la droite de l'entrée. J'ouvre un premier carton et j'en sors une boîte. Une petite boîte en bois à l'aspect vieilli par le temps. Je l'ouvre avec difficulté, ça fait plus de trois ans que je n'y ai plus touché. À l'intérieur, il y a tout ce qui me définit : mon passeport, ma carte d'identité, mes cartes d'assurances, des lettres et quelques articles de journaux français. Bien sûr, il y a aussi tout ce qui LE définit. Jean, mon frère jumeau. Je sors tous mes papiers et je les pose sur la table à manger. Et puis, au lieu de m'arrêter là, au lieu de ranger cette boîte sur l'une de mes nouvelles étagères, je sors ces petits articles de journaux qui datent d'il y a six ans.

Je pleure. Je me laisse enfin aller à quelques sanglots. Ma crise d'identité est terminée. Je suis enfin prêt à laisser partir mon frère, à accepter son décès. Jean n'est plus et je n'avais pas le droit de prétendre qu'il l'était encore. Je sers entre mes doigts le papier jauni par le temps. Il se déchire en silence. Il devient rapidement illisible, comme pour répondre à ce besoin que j'ai de me priver de ce souvenir. La photo de cette voiture démolie par la violence du choc, les récits des témoins qui ont vu ce jeune homme perdre le contrôle de son véhicule et la triste nouvelle de la mort du passager : Raphaël de Vistres.

Je n'aurais jamais du conduire sans permis. Je n'aurais jamais du le tuer. Je n'aurais jamais du prendre son permis de conduire et prétendre que c'était moi, Jean. Je n'aurais jamais du mentir si longtemps. Je n'aurais jamais du le souiller par cette folie qui s'est envahie de moi.

J'allume une cigarette et je me calme, lentement. J'attrape l'autre article et je le jette à la poubelle. Il faut avancer, enfin. Je me saisis alors des lettres. Oh, oui, les lettres. Je les ai toutes reçues, mais je n'y ai jamais donné suite. Papa, maman, Mathilde. Vous avez perdu un fils, un frère, vous ne voulez pas perdre le deuxième, quoi qu'il ait pu faire. Je ne mérite pas le pardon. Je ne le mériterai jamais. Je sais bien qu'ils risquent de me retrouver en reprenant mon nom. Mais finalement, peut-être que je m'y suis préparé. Peut-être bien oui. Et puis, il y a cette chevelure blonde qui hante chacune de mes nuits. Il y a cette belle princesse que j'ai eu la hardiesse de lui voler. Elle m'a détesté elle aussi, lorsqu'elle a découvert que je n'étais point Jean. Elle m'a haït de tout son être, oui. Mais qu'en est-il aujourd'hui. Est-ce que je fais partie d'elle autant qu'elle fait partie de moi ?

J'inspire bruyamment. Jean était ma moitié, une partie de moi. En abandonnant mon nom, mon identité, ma personne, je me suis débarrassé de cette partie restante. Je n'étais plus qu'une coquille vide. Oui, mais aujourd'hui je suis fatigué d'être une coquille vide. Oh, Jean, pardonnes moi.